Art dans la communauté / Communauté dans l’art

Ronald & Richard

Résidence — Auteur·e/chercheur·e

Ronald & Richard signe un texte à propos du forum Art dans la communauté dans le livre Terrains d’entente 2003-2004.

Le forum ? C’est ici ! Bienvenue. Oui, bienvenue.
Voici tant attendue votre occasion de revenir sur ce forum. Alors ouste, sortez vos crayons et vos effaces surtout.

« Pour susciter le débat et mettre en perspective les enjeux qui lui sont spécifiques, pour que l’expérience serve au-delà de cette spécificité, le 3e impérial ramenait au cœur de la communauté des Montréalistes, dans les locaux du centre d’artistes Dare-dare, le corpus des pratiques nourries au sein des Terrains d’entente, des Instants ruraux et de Supra rural, rien de moins.

Le travail est simple – à première vue, il s’agit d’assortir les questions et les affirmations déjà exprimées par les participants. Tentative collective de circonscrire la notion de communauté, sa relation aux œuvres, sans oublier la réception de celles-ci. C’est une litanie où vous vous reconnaîtrez peut-être.

Alors?…« Ti-gedou, right through dans le trou », répétez après nous ! L’ordre de la litanie n’a pas encore le statut de dogme, méditez les affirmations et questions à votre rythme. (Dernière mise en garde : la même affirmation peut valider plus d’une question et vice-versa. Vous voilà prévenus…)

1. Communauté? Mais encore (qu’est-ce que tu veux dire?)…

Q01: Le fond même de cette thématique ne marque-t-il pas la fin de l’autonomie de l’art ?
A01: Le résultat positif tient à la façon dont on interagit avec la communauté.
Q02: En premier lieu, à quelle communauté s’adresse-t-on, celle qui vit là ?
A02: En marquant le territoire par de petits objets qui forcent l’arrêt sur paysage.
Q03: L’artiste est-il un leader d’opinion ou agit-il plutôt à titre de citoyen à part entière ?
A03: C’est la forme diversifiée des relations qui définit le rôle de l’artiste dans cette communauté.
Q04: Comment en arriver à fusionner nouveaux arrivants et artistes avec la population autochtone ?
A04: Il faut s’investir et travailler pour que les gens parlent un même langage.
Q05: Les transitaires sont-ils mieux équipés pour voir ce qui fait relief dans la communauté locale ?
A05: Il est plus facile de négocier avec les habitants concernés qu’avec leurs dirigeants.
Q06: Qu’entendre dans ce leitmotiv qui dit d’entrer dans une communauté ou encore de l’infiltrer ?
A06: On peut jouer gagnant en obtenant l’appui du comité d’urbanisme de la collectivité.
Q07: Qu’est-ce que nous formons, une communauté hospitalière ou un hôpital ?
A07: La communauté, c’est le réel investi par le bon gros sens commun.
Q08: Le public lui ne vit-il pas avec le projet tandis que la communauté le subit ?
A08: Il est possible de parler d’une communauté comme d’un public cible.
Q09: Pourquoi avoir initié les Instants ruraux avec à la base le concept de communauté ?
A09: La première des communautés demeure celle qui reçoit les invitations du 3e impérial.
Q10: Et si le 3e impérial était une communauté à risque visant à prendre son autonomie ?
A10: C’est l’espace de la pratique artistique qui fonde le niveau premier de la communauté.
Q11: Et lorsqu’un artiste, dans un projet, écrit le mot « communauté » que faut-il comprendre ?
A11: La communauté, c’est une entité sociale qui partage des valeurs sur un même territoire.
Q12: N’est-ce pas dans un sens élargi qu’on peut parler de communauté artistique ?
A12: Par leur format réduit dans l’étendue du territoire, les œuvres deviennent invisibles.
Q13: Artistes, organisme et population ne forment-ils pas le triangle d’un terrain d’entente ?
A13: Fondamentalement, peut-être faut-il être bien informé du projet pour le voir vraiment.
Q14: Pourquoi ne pas voir la communauté comme un canevas dans lequel les pratiques vont s’ancrer ?
A14: Il y a définitivement tension entre définition et indéfinition de ce qu’est une communauté.
Ql5: N’y a-t-il pas « décohérence » due à la distorsion entre l’objet et son identification au projet ?
A15: L’art dans la communauté, c’est avant tout une réponse à un programme de subvention.

2. Œuvre et communauté pour le meilleur et pour le pire

Q16: L’intérêt n‘est-il pas dans la façon dont la communauté participe à l’œuvre ou comment elle la reçoit ?
A16: Parler de communauté crée une distanciation où l’objet d’art devient forme dérisoire.
Q17: N’y a-t-il pas dans toute communauté des gens intéressés et d’autres aveugles ?
A17: On y arrive en considérant la communauté comme inspiration, matériau de base du projet.
Q18: Avouez que, parfois, il ne s‘est pas passé grand chose pour la communauté visée ?
A18: Étant bien conscients que nous sommes une communauté qui cherche encore sa validité.
Q19: Le rôle du centre d‘artistes n’est-il pas d’être le médiateur qui fait tenir les choses ?
A19: La réaction d’une communauté est un enjeu qui peut venir ajouter au sens d’une œuvre.
Q20: Et si tout ça dépendait de notre volonté de dépasser l’œuvre et changer la vie ?
A20: La communauté en arrive à décontextualiser le projet au lieu d’en être son miroir.
Q21: L’art actuel n’est-il pas parfois équivalent de ce qu’est le finlandais au mexicain ?
A21: À juger par l’effet sur le territoire et le communautaire, on est perdu d’avance.
Q22: Dans la nature des projets infiltrants, les réticences sont-elles aussi valables que les refus ?
A22: Il faut prouver avant tout qu’il y a un public pour ce que nous produisons.
Q23: Le 3e impérial est-il défini comme un centre d’accès à un territoire qui assume des pratiques ?
A23: Chaque projet possède à la fois son autonomie et le contexte de son territoire.
Q24: Pour une communauté ignorante de l’art, tout projet ne devient-il pas mystérieux ?
A24: On se sent déconnecté là-dedans, voir ce forum comme un lieu d’intervention.
Q25: Une communauté étant en constante ébullition, comment éviter les stéréotypes ?
A25: Les réalisations des artistes deviennent instruments qui définissent les artistes.
Q26: Et si ces travaux devaient s’installer dans la durée pour que l’intérêt soit suivi ?
A26: L’art étant métaphore, il y a une liberté avec les significations et l’objet est médiation.
Q27: Peut-on aller jusqu’à dire qu’il existe des formes d’art qui ont créé des communautés ?
A27: L’un des objectifs de l’art est de créer des communautés affinitaires et contextuelles.
Q28: Peut-on parler d’une communauté monolithique, y a-t-il des clans et des alliances ?
A28: Parfois, l’événement permet de révéler au grand jour une communauté locale latente.
Q29: Croyez-vous que les artistes du 1% se posent davantage la question de la communauté ?
A29: L’artiste lui-même a parfois des difficultés à comprendre ce que font les autres.

3. La réception n’est pas toujours une fête

Q30: Ne sommes-nous pas souvent animés de très grandes attentes face au public ?
A30: Nous ne devons pas nécessairement être déçus de l’incompréhension du public.
Q31: Que faire lorsque les gens passent complètement à côté du sens de notre travail ?
A31: C’est l’une des raisons pour laquelle nous décidons d’aller vers telle ou telle communauté.
Q32: N’avons-nous pas la chance de faire du travail expérimental, du trapèze sans filet ?
A32: Tout ça dépend de l’artiste et de la relation privilégiée qu’il entretient avec son œuvre.
Q33: Ne faut-il pas tenir mordicus à l’incertitude de ce avec quoi l’on travaille ?
A33: Les centres d’artistes ont peut-être une fonction de guide et d’interprétation.
Q34: Au bout du compte, sommes-nous en réalité forcés d’être populaires ?
A34: À la fois guide, interprète, animateur, ce n’est plus vrai que l’œuvre parle d’elle-même.
Q35: Même rejeté par sa communauté, un projet bien diffusé va passer ; n’est-ce pas ambigu ?
A35: La documentation peut primer sur l’implication réelle de l’artiste dans la communauté.
Q36: Certaines solutions audacieuses à l’origine ne deviennent-elles pas la norme ?
A36: C’est en prenant le risque de se tromper qu’on peut faire de l’art infiltrant.
Q37: Et si l’œuvre devenait attrait touristique, son propres succès, enjeu de développement ?
A37: L’artiste doit être convoqué en tant qu’expert, au même titre que les autres professionnels.
Q38: Est-ce si important d’expliquer l’œuvre, devons-nous être des animateurs professionnels ?
A38: Parce qu’on ne se demande jamais quelle est la responsabilité de la société envers l’artiste.
Q39: Expliquer un projet, n’est-ce pas courir le risque de lui enlever sa magie et de le tuer ?
A39: En parlant de l’œuvre, de cet objet visuel comme d’une expérience à vivre !
Q40: Pourquoi ne pas interpréter l’œuvre comme une expérience esthétique transmissible ?
A40: Si la personne me demande : « que fais-tu ? », je lui réponds : « et toi, que vois-tu ? ».
Q41: Au fond et avant toute chose, n’est-il pas essentiel que la personne ressente l’œuvre ?
A41: Maintenant, on a éliminé les frontières entre disciplines et on peut produire sans trace.
Q42: Ne faut-il pas, comme à la fine pointe de l’armement, faire de l’art qui soit furtif ?
A42: Expliquer une œuvre, c’est donner des clés de lecture, entrer dedans, jouer avec.
Q43: Qui a dit : « L’éthique impose une révision de notre conception de l’œuvre » ?
A43: Avant toute chose, c’est l’artiste qui fait l’œuvre, c’est sa première responsabilité.
Q44: On peut se demander comment la communauté participe-t-elle à la création de l’artiste ?
A44: Il advient que, parfois, ce soit l’artiste lui-même qui demande à ne pas être compris.
Q45: N’est-ce pas le lieu de tous les dangers que de se faire racoleur auprès du monde ?
A45: Une œuvre d’art ne doit réduire la distance qui existe entre le visible et l’invisible.
Q46: Pourquoi ne pas s’aventurer et dire que l’artiste doit à la fois être suspect et excédentaire ?
A46: Il ressort de la responsabilité de l’artiste de préserver son espace de liberté.
Q47: En arriverait-on à oublier qu’en réalité, personne n’attend quelque chose de nous ?
A47: En faisant un art qui, à la fois, ne soit ni folkloriste ni élitiste !
Q48: Qu’est-ce qui est le plus important, est-ce de définir le rôle de l’art ou d’en faire ?
A48: Thérapeutique, éthique, en ramenant l’art dans ces sphères dont nous avons été exclus.
Q49: En réalité, ce chemin de l’art, n’est-ce pas nous qui l’avons créé et damé ?
A49: C’est à cause de la nécessité humaine de l’art, c’est elle qui nous fait exister.
Q50: Qui le dira, le moment n’est-il pas venu de conjuguer éthique avec esthétique ?
A50: Tout en ayant développé nos propres outils de validation avant bien des corporations !

Profondeur émergente
Éthique/Esthétique

Même coulé dans le bronze, il n’est pas de statut qui ne se puisse perdre. Peut-être qu’à l’instar des autres corporations professionnelles, les artistes retrouveront, avec leur dignité éprouvée, un code de déontologie acéré…

Il est légitime de rêver d’un meilleur sort pour nos objets, de vouloir un statut équivalent aux autres professionnels qui modèlent nos communautés. D’être partisan d’un revenu récurrent plus équitable que celui distribué par une roue de casino épileptique qui divise notre communauté dans le désordre en élus et en exclus. Tandis que, depuis vingt-cinq ans, nos voisins américains renouvellent l’histoire de l’art par les catégories de classe, de genre et de race sous le paradigme de la valorisation du minoritaire.

Cet ancrage de l’art dans la communauté n’est pas illusoire, il est profondeur radicale et, pour ce, il remonte aux racines de notre discipline en reformulant les fondements de l’objet d’art, là où l’esthétique et l’éthique devraient se conjuguer.

Alors, ils dérivent, nos processus et nos objets, remodelant la nébuleuse esthétique dans la constellation éthique, pour l’accomplissement de cette mise en relief d’un surplus de réel. »

— Ronald & Richard

 

Extrait du texte « Art dans la communauté / Communauté dans l’art », paru dans la publication Terrains d’entente 2003-2004, 3e impérial, centre d’essai en art actuel, 2007, p. 32-36.

Ronald & Richard vit et travaille en Beauce où il a été initiateur et animateur de la série de symposiums des Artistes installateurs de Beauce de 1990 à 1999. Il détient une maîtrise en arts de de l’Université du Québec à Chicoutimi, une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Laval à Québec et entreprend des études doctorales sur l’art actuel dans ses rapports avec le développement local. Sa démarche actuelle s’articule autour de la trilogie Éden/Babel/Noé.